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Al Madina, la ville illuminée

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Hajj. Quatrième épisode du récit de Marwan Muhammad, auteur de Foul Express (http://www.foulexpress.com).

Les trois premiers épisodes sont accessibles en cliquant sur les liens suivants :
Labbayk, chronique d’un pèlerin
Welcome to Mecca
Les rites de la ‘umra, travaux pratiques

Al Madina, la ville illuminée

Dans l’autocar pour aller prendre l’avion qui nous emmène à Madina, j’ai encore des flashs des dernières heures à Mecca. Je revois masjid al-Haram, les autres pèlerins, les lumières. L’horloge humaine du tawaf qui égrène ses secondes au pas des hommes et des femmes venus du monde entier pour honorer la mosquée sacrée et plaire à Allah (swt).

L’attente est très longue. Le voyage très court. Après les derniers jours, j’ai appris à prendre patience. Il n’y a vraiment pas de quoi se plaindre quand on attend quelques heures assis dans un fauteuil. Quand on voit les épreuves de ceux qui nous entourent, forcément… ça donne du courage. Nos frères qui dorment dehors. Nos frères qui s’occupent des bagages. Nos frères qui portent le poids des années sur leurs jambes fragiles. Nos frères venus de tous les pays, de tous les horizons avec chacun leur histoire, chacun leurs espoirs mais tous la même foi.

Voulez-vous faire leur connaissance ? Laissez-moi vous en présenter quelques-uns.

– D’abord Youssef, mon compagnon le plus proche dans ce grand voyage. On s’encourage, on se soutient mutuellement à redoubler d’efforts. On se console quand l’un de nous deux a un coup de fatigue, des fois ; un coup de tristesse, rarement. Youssef est Palestinien de Gaza. Sa famille y est encore tandis que l’état sioniste retient les pèlerins palestiniens dans une prison à ciel ouvert : leur propre pays. Impossible de sortir. Impossible d’accomplir leur hajj avec les autres musulmans. Interdit, cette année. Chaque jour on pense à eux, on se sent privilégiés de pouvoir être ici. Youssef est marié et père de trois enfants. Il vit près d’Edimburgh, où il occupe un poste de chercheur en théorie de l’information. Ici, ce job ne veut rien dire, pas plus que le mien. En revanche, quel cœur, quelle sincérité, quelles provisions de taqwa avons-nous ramené avec nous ?

– ‘Ammi Muhammad, lui, pourrait être mon grand-père. Il a laissé ses grands enfants en Algérie pour venir accomplir son hajj, un pas après l’autre. Ses genoux sont abîmés, ses jambes marquées d’hématomes. On a fait connaissance au dernier étage de masjid al-Haram, une nuit où je m’étais assoupi en attendant la prière de fajr. Me protégeant, me parlant avec douceur, il m’a profondément touché, car il incarne à lui seul tous nos tontons, grands-parents et aînés pour qui le pèlerinage est le voyage du grand pardon, celui qui vient couronner une vie d’efforts et de sacrifices. Sur leur visage, les traces de notre histoire, les cicatrices d’une guerre qui bouleversent encore nos cœurs et nos mémoires.

Deux lumières parmi une constellation, pour ne citer qu’eux parmi les dizaines de frères que j’ai eu l’honneur de connaître pendant ces jours bénis.

Nous voici arrivés à Médine, la ville du Prophète bien aimé (saws). Notre hôtel est au bord de l’immense esplanade. Sitôt les bagages posés, en route pour la mosquée pour l’heure de la prière.

Ma maison, c’est l’islam

Comment décrire l’impression qui vous saisit quand vous entrez dans la mosquée du Prophète (saws)… Un sentiment de paix immense.

J’ai été subjugué par la beauté de l’endroit, mais surtout j’ai enfin trouvé sur cette terre un endroit où je me suis senti vraiment chez moi. De notre chambre d’hôtel, on voit le beau dôme vert qui surplombe la zone la plus importante, qui abrite les anciens appartements du Prophète (saws), son tombeau et ceux des deux premiers califes bien guidés (ra). Avec les agrandissements successifs, la mosquée est immense, ornée de bois, de marbre blanc et d’épais tapis rouges. Une partie du toit est amovible : quand le soleil commence à redescendre, on découvre le ciel. Le soir, on peut regarder les étoiles, assis adossé à l’un des innombrables piliers.

Il y a une vraie vie dans la mosquée. Entre les prières, des professeurs de l’université de Médine viennent donner des cours. Des cercles se forment rapidement autour d’eux aux quatre coins de la mosquée : questions et réponses, des visages attentifs levés vers ceux qui viennent partager avec nous leur savoir et leur amour de l’islam.

Pendant ces premiers jours de dhul hijja, beaucoup de personnes jeûnent comme le Prophète (saws) nous l’a recommandé. L’iftar est un grand moment. Des frères résidant à Médine prennent plaisir à honorer les visiteurs en veillant à ce que chaque soir soient servis un petit repas de dattes et des rafraîchissements. Sucrées, juteuses, en fruits ou préparées, les dattes sont de toutes les saveurs. Dans ces moments, je pense à la fraternité qui devait régner entre les Ansars et les Muhajiruns quand le Prophète (saws) avait fait d’eux des frères l’un pour l’autre. Autour du repas, des discussions s’improvisent : d’où viens-tu ? est-ce que c’est ta première fois ? Comment es-tu venu ? Puis l’iqama de la prière de maghrib retentit et précipite la fin de la pause, un petit goût doux et sucré dans le palais. C’est peut-être ça le bonheur…

Un frère pakistanais soutient son papa très âgé. Chaque mouvement est un effort. Je me demande combien d’années de prière il a derrière lui. Combien de jours de jeûne ? Combien de bonnes actions ? Ça donne forcément du courage de voir des modèles comme ça. Ça rend humble et ça rappelle que la vie ici est un effort de chaque instant, une course de fond où tout le monde sprinte. On essaie de tenir le rythme, on se laisse parfois distancer, on s’essouffle puis on se ressaisit grâce à Dieu, tandis que la ligne d’arrivée reste hors de vue.

Dans la mosquée, il y a un endroit très spécial : ar-rawda al-nabaweyya (le jardin du Prophète – saws). Quand on a la chance d’y prier, chaque prosternation est un moment de grâce, chaque du’a a une saveur particulière. À quelques mètres, notre bien-aimé Prophète (saws) est enterré. En passant par là, on peut le saluer, ainsi qu’Abu Bakr et Umar (ra). Depuis petit, on nous dit qu’il faut aimer le Prophète (saws), mais des fois c’est un peu abstrait. Bien sûr qu’on l’aime de tout notre cœur, mais être ici, dans sa maison, dans sa mosquée, dans sa ville, ça crée vraiment un lien très affectif et le sentiment profond d’appartenir à la oumma de Muhammad (saws), avec tout l’honneur que cela représente.

Le combat des jours qui viennent, c’est de trouver la sincérité et la dévotion dans les du’a en prévision de ‘Arafat, le jour où chacun d’entre nous demandera à Dieu (swt) de pardonner, d’effacer nos pêchés avec l’espoir de pouvoir rentrer chez nous avec une feuille blanche pour tout recommencer. Médine est un endroit propice à cette quête de sincérité et de recueillement. Et si, comme moi, vous avez le cœur endurci et asséché par des années de vie loin de l’Islam, je vous livre ici un petit moment de vérité, en espérant qu’il nous soit profitable à tous.

Après quasiment chaque prière, l’imam nous demande de prier janaza pour ceux et celles dont Allah (swt) a rappelé les âmes. Cette prière pour le salut des morts est différente des autres prières. Comme on commence notre vie par un adhan et une iqama sans prière, on la termine par une prière sans iqama : la salat janaza. Debout. Sans prosternations. Comme pour rappeler à chacun de nous que ceux pour qui on prie se tenaient peut-être à notre droite lors de la dernière prière en groupe et qu’il ne tient qu’à la volonté de Dieu (swt) que nous soyons ceux pour qui on prie à la prochaine…

Sitôt la salat janaza terminée, le convoi mortuaire sort en courant à l’avant-gauche de la mosquée. De nombreux frères se joignent au convoi. Direction le cimetière du Baqi’, juste à quelques dizaines de mètres à gauche de la mosquée. Ce soir, c’est une dame et son enfant qu’on enterre. En portant à mon tour un coin du cercueil, je pense à elle et au jeune enfant qui l’accompagne : comment ont-ils vécu et comment sont-ils morts ?

On vient de dépasser les portes du cimetière. Pieds nus dans le sable froid. Le cimetière est faiblement éclairé, si ce n’est pour une vive lanterne qui indique à quelques centaines de mètres l’emplacement où nous devons inhumer le corps. Une fois arrivés, on couvre l’endroit d’un drap par pudeur le temps d’enterrer la dame et son enfant. La plupart d’entre nous se tournent vers Mecca et prient pour elle. Là, face aux petites dunes du Baqi’, je suis effondré, mon cœur saigne, brisé en mille morceaux et pour la première fois de ma vie pris d’un réel sentiment d’être « musulman », soumis à la loi de Dieu (swt), jeté devant lui comme un serviteur reconnaissant de tout ce dont il m’a comblé. Juste là, dans ce cimetière sous ces dunes, les personnages illustres de notre histoire : sous quelle dune est notre mère Aïcha (ra), sous quelle autre est l’imam Malik (ra) ? Des milliers de musulmans ont eu l’honneur d’être enterrés ici. Parmi eux mes arrière-grands-parents, partis d’Egypte pour le hajj mais jamais revenus, laissant mon grand-père orphelin à l’âge de sept ans. Où sont-ils ? Leur tombe est-elle éclairée ? Sont-ils en paix ? Comme la sœur que nous venons d’enterrer, ceux dont les corps gisent sous ce sable glacé ne peuvent plus rien pour eux-mêmes. Rien ne nous sépare d’eux, si ce n’est le petit fil de vie qu’il nous reste pour sauver notre âme et faire œuvre de bien, avec l’espoir qu’Allah (swt) nous sauve par Sa Miséricorde et nous fasse entrer au Paradis.

Plus question de faire marche arrière après ça. En route pour ‘Arafat in châ’a-Llâh

Crédit photo une : Flickr – OmarSC

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6 Commentaires

  1. As-salamû’alaykum,

    Baraka-Llah’ufik, c’est tellement agréable à lire qu’on en redemande Ma shâ Allah.
    Qu’Allah vous récompense!
    La suite in shâ Allah!

  2. As-salam aleikom,

    mon épisode préféré… des larmes encore aux yeux au moment où j’écris ce commentaire.

    Qu’ Allah nous autorise à voir sa maison et Médine.

  3. Assalamou-aleikoum qu’ALLAH (SWT) vous recompense, je n’ai jamaiis été au Hajj mais vos episodes me donnent l’impression d’etre labas.
    Qu’ALLAH NOUS DONNE TOUS LA POSSIBILITE D’ETRE A MEDINE
    QU’ALLAH (SWT) VOUS RECOMPENSE;

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