Téléchargée 1,4 million de fois depuis son lancement en décembre 2023, l’application Boycott X s’est rapidement imposée. Son fondateur, Chedy El Tabaa, revient sur la genèse et les défis d’un projet né après un dîner en famille.
Al-Kanz : L’application Boycott X est une initiative personnelle, la vôtre. Qu’est-ce qui vous a mené à la lancer ?
Chedy El Tabaa : Ma sœur ! Lors d’un dîner de famille, on parlait des injustices mondiales. Elle me dit que c’est notre devoir en tant que consommateurs de faire quelque chose, au moins pour nous permettre à titre personnel de ne pas financer ce qui est contraire à notre éthique.
Puis, elle s’est retournée contre moi : « Toi, tu es développeur et tu ne fais rien de ta vie, fais-le ! »
Deux semaines après, Boycott X est né.
Al-Kanz : Le slogan de l’application, c’est « consommer avec conscience ». Qu’entendez-vous par là ?
Chedy El Tabaa : On consomme tous les jours, mais on n’est jamais vraiment conscients. C’est là que Boycott X intervient. Tu scannes : s’il y a un risque éthique détecté, tu as l’info, dont tu fais ce que tu veux. On n’impose strictement rien, chacun a des principes qui peuvent être différents de ceux des autres. Notre rôle est juste d’informer, à vous d’agir (ou pas). D’où ce slogan.
Al-Kanz : Selon quels critères ajoutez-vous une marque, un produit à votre base de données ?
Chedy El Tabaa : Il y a en effet un certain nombre de critères à respecter pour entrer dans la base de données, mais pour commencer, il faut déjà que cela entre dans les catégories ciblées :
— droits humains (Palestine et génocide à Gaza, génocide au Congo, génocide des Ouïghours, maltraitance infantile, etc.),
— cause environnementale,
— cause animale,
— Rappel Conso, le site de rappels produits du gouvernement.
Si ça rentre dans une de ces catégories, notre rôle est ensuite de vérifier la fiabilité des informations.
Pour ce travail de vérification, nous nous efforçons de mettre en place un score de crédibilité. Nous nous appuyons à cet effet sur des sources solides, reconnues pour leur sérieux (articles de presse, rapports d’associations comme BDS, d’ONG environnementales, de défense du bien-être animal, etc.).

Boycott X agit en quelque sorte comme un relais. Mais sans source fiable, nous ne référençons pas une marque ou une société mises en cause. Les affirmations non vérifiées issues des réseaux sociaux, même nombreuses, ne suffisent pas à elles seules pour justifier un ajout dans l’application.
Al-Kanz : Le boycott est un sujet sensible : s’il y a méprise, on peut nuire à une entreprise en rien impliquée, directement ou indirectement, dans le génocide en cours à Gaza. Comment garantissez-vous la fiabilité des sources sur lesquelles se fonde votre application ?
Chedy El Tabaa : C’est vrai, et c’est pour cela que l’on est parfois en retard quand on nous demande d’ajouter une société en pleine polémique… car on étudie le dossier.
Ça peut parfois prendre des semaines : on passe des coups de fil, on contacte la marque, on a nos propres enquêteurs internes bénévoles. Sur dix sociétés à ajouter, on en ajoute uniquement deux généralement, par manque de preuves ou de sources fiables.
On sait qu’une campagne de boycott peut causer énormément de tort à une société, alors imaginez notre responsabilité si on se trompe. Donc on s’efforce de ne jamais faire d’erreur.
Al-Kanz : Avez-vous déjà été contacté par une des entreprises référencées dans Boycott X ?
Chedy El Tabaa : Plus d’une trentaine de sociétés nous ont déjà contactés.
Soit en nous demandant tout simplement de retirer la société, soit en nous proposant de l’argent.
C’est totalement à l’encontre de notre éthique et généralement ces prises de contact n’aboutissent à rien… surtout s’ils n’ont pas d’éléments concrets qui puissent justifier qu’on retire l’entreprise. Jusqu’à présent, cela n’a jamais eu lieu.
Al-Kanz : Quels sont les retours des utilisateurs ?
Chedy El Tabaa : Ils sont motivants, et on m’en demande beaucoup, notamment des fonctionnalités à ajouter. Mais les utilisateurs pensent souvent que derrière Boycott X il y a une société, alors qu’en réalité je suis seul avec quelques bénévoles.
Al-Kanz : Boycott X a été l’une des applications les plus téléchargées en France, ce uniquement grâce au bouche-à-oreille et aux réseaux sociaux. Avez-vous été surpris par cet engouement ?
Chedy El Tabaa : Très surpris ! Mais cela prouve qu’il existe une véritable demande dans ce domaine. Aucune application ne permet réellement de consommer avec conscience sur le plan éthique. On a été les seuls à le fournir à un moment polémique et crucial.
Je ne m’attendais pas à ce que l’impact soit si grand. Certaines sociétés font des campagnes marketing avec des sommes exorbitantes. Moi, j’ai réussi à faire un million de téléchargements sans un sou dépensé. J’étais surpris, mais surtout très fier de ce qui a été accompli.
« J’ai subi une dépression à cette époque, c’était vraiment dur. Je ne vivais même plus chez moi. »
Al-Kanz : Israël craint le boycott. Sans surprise, vous avez subi harcèlement et menaces. Vous sentez-vous en sécurité ?
Chedy El Tabaa : Oui, de nombreuses menaces, du harcèlement téléphonique… des individus sont même venus en bas de chez moi. Le boycott fait du mal, surtout quand son impact est important.
J’ai subi une dépression à cette époque, c’était vraiment dur. Je ne vivais même plus chez moi.
Ma tête a été diffusée à la télé sans mon consentement, avec des mensonges, on me traitait d’antisémite. J’avais seulement 25 ans et je n’étais pas prêt à être autant médiatisé à titre personnel.
Al-Kanz : Vous avez affirmé il y a quelque temps avoir reçu des propositions de rachat. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Chedy El Tabaa : Alors oui. Après avoir tenté de me faire taire par différents moyens — juridiques, médiatiques, par des menaces physiques ou du harcèlement —, leur dernière chance était de m’acheter.
Une société israélienne m’a contacté en affirmant que mon appli avait un potentiel hors du commun et des statistiques incroyables. Ils se disaient prêts à investir une certaine somme pour l’acheter, après mon accord et l’étude du code écrit par mes soins pour développer Boycott X afin de fixer le montant.
Je sais qu’il y a eu des rumeurs à ce propos, mais non, aucun prix de rachat ne m’a été proposé.
Dans tous les cas, je n’ai pas lancé un tel projet éthique pour le vendre et le voir disparaître.
Deux autres sociétés basées aux Etat-Unis m’ont également contacté, mais je n’ai pas donné suite.
Al-Kanz : Pour finir, l’application va-t-elle prochainement évoluer, avec par exemple de nouvelles fonctionnalités ?
Chedy El Tabaa : Oui, j’ai beaucoup d’idées pour Boycott X, mais il faut me laisser un peu de temps car je suis seul. Ce n’est pas un projet qui rapporte de l’argent, l’application est complètement gratuite, et j’ai même retiré les pubs Google, contraires à mon éthique.
J’essaie de m’organiser financièrement pour pouvoir investir, avoir des collaborateurs et mettre en avant tous ces projets in sha’a-Llah.
Le plus important est surtout de permettre aux utilisateurs d’avoir des alternatives locales pour chaque produit qui présente un risque éthique.
L’application Boycott X est disponible sous Android et iOS.
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