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Chérie, je me suis fait price-targetter

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Billet rédigé par Marwan Muhammad, chroniqueur exclusif sur Al-Kanz et fondateur de quantislam : http://www.quantislam.com« 


Imaginez-vous à la boulangerie pour acheter du pain :
– Bonjour Madame, deux baguettes s’il vous plait !
– Voilà Monsieur.
– C’est combien ?
– Ça dépend. Combien êtes-vous prêt à payer pour la nourriture de vos enfants ?

Quelques minutes plus tard chez le pharmacien :
– Combien coûtent ce médicament ?
– Ça dépend. Combien êtes-vous prêt à payer pour survivre ?

Imaginez un monde où le prix des choses est différent pour chaque personne. Un prix à la tête et au portefeuille du client. Un tel monde vous terrifie-t-il ? Oui ? Pourtant, c’est le monde dans lequel vous et moi nous nous réveillons chaque matin. Bien sûr, les choses ne sont pas dites de manière si explicite, mais la tarification de l’offre de produits et de services à laquelle nous avons accès est construite de manière à nous faire payer le maximum de ce que nous pouvons payer pour chaque chose : on appelle cela le « price-targetting ».

Quelle baguette me définit le mieux en tant que consommateur ?

La baguette n’est pas vendue à un prix variable en fonction du client. Pourtant, on voit apparaître sur les étals tout un choix de baguettes à des prix différents : la baguette « standard » à 80 centimes, la « tradition » à 1,15 euro, la « multigraines » à 1,30 euro, la « campaillette », etc. La différence qualitative entre ces baguettes est bien réelle, mais elle ne justifie pas le large écart de prix appliqué. Ainsi, la différence de farine entre la « standard » et la « tradition » ne justifie pas une majoration de 44 % du prix de la baguette. Pourquoi un tel surcoût alors ? Pour que les consommateurs qui ont les moyens de payer plus puissent le faire. Ceux qui ont des moyens limités se contenteront de la baguette standard. Ceux qui ont un portefeuille bien rempli seront bien moins sensibles au surcoût et achèteront le pain surtaxé.

Autre exemple d’incohérence des prix à la boulangerie. Le pain coûte environ 80 centimes pour une baguette de 250 grammes, soit 3,20 euros le kilo. Pourquoi alors les pains dits « spéciaux » devraient-ils coûter plus cher ? Quand on voit le prix du pain aux céréales ou aux raisins secs, on se dit que le surcoût provient de l’ajout de graines de céréales ou de raisins dans la pâte à pain. Pourtant, plus de céréales et de raisins, c’est moins de pâte. Donc d’un point de vue mathématique, tant que ce qu’on ajoute coûte moins que 3,20 euros le kilo (ce qui est le cas des céréales et du raisin), le prix du pain ne devrait absolument pas augmenter, puis qu’il n’y a absolument aucun surcoût dans sa fabrication. On voit pourtant exactement l’inverse dans les prix… Ce qui peut passer pour anodin dans une boulangerie est pourtant appliqué dans bien d’autres domaines, avec des conséquences plus ou moins directes.

« Et pourtant ils augmentent »

On entend souvent dire autour de nous que les prix ne font qu’augmenter. Et on entend les responsables des grandes entreprises et les ministres dire à la télévision : « Mais non, c’est faux. Les indices de consommation le prouvent. Il n’y a eu durant les dernières années qu’une augmentation très modérée des prix, de l’ordre de quelques pour-cent. » Cette analyse est correcte si on se concentre sur le panier de consommation à partir duquel l’INSEE construit l’indice des prix. Or, ce panier-type est totalement caduque pour la plupart d’entre nous et ne reflète pas l’évolution des modes de consommation durant les dernières années. Il reflète une moyenne dans laquelle peu d’entre nous se reconnaissent. Les statisticiens de l’INSEE ne font pas d’erreur de méthodologie, et ce n’est pas ici leur travail que je critique, mais l’exploitation politique et marketing qui en est faite que je qualifie, pour le moins, de malhonnête.

Ainsi, le prix des denrées mesuré par l’INSEE dans les supermarchés peut suivre une hausse modérée. Mais, dans le même temps, des techniques de price-targetting sont utilisées pour faire en sorte que les consommateurs achètent moins ces produits pour aller vers des produits plus marqués : la mayonnaise premium, le café dit « équitable », le déodorant socio-positif, le jus d’orange industriel bio, etc. Le coût de la vie augmente bel et bien pour chacun d’entre nous, pas seulement parce que le coût de ce que nous avions l’habitude d’acheter il y a dix ans a augmenté, mais parce qu’on nous a appris à consommer de nouvelles choses qui coûtent plus cher.

Et notre libre-arbitre dans tout ça ? Il sert d’alibi à des experts en price-targetting qui connaissent nos critères d’achat mieux que nous. Que reste-t-il de notre libre-arbitre au rayon couches pour bébé quand l’ensemble de la presse féminine et des émissions liées à l’éducation recommandent l’utilisation précautionneuse d’un certain type de lingettes ? Quel parent ne veut pas acheter « ce qu’il y a de mieux » pour son enfant ?

Théorie de la bonne affaire inversée

Comme tous les six mois, nous venons d’achever un cycle d’hystérie collective : les soldes. Comme tous les six mois, bravant des températures éprouvantes, des ampoules aux pieds et des enfants dissipés courant dans les rayons, des millions de consommateurs et de consommatrices se sont rués sur des étiquettes rouges barrées à la recherche de la fameuse « bonne affaire ». Comme tous les six mois, on nous « l’a faite à l’envers », au sens propre comme au figuré. Je m’explique : psychologiquement, nous percevons les prix soldés comme des prix réduits. Et si, le temps de lire ces lignes, nous regardions plutôt les prix normaux comme des prix majorés ? Exemple : prix initial 100 euros. Prix soldé à 60 % de réduction : 40 euros. Si je pense que le vrai prix est 100 euros, alors l’article me paraît être une bonne affaire. Si je pense en revanche que le vrai prix est plutôt autour de 40 euros, alors l’article est enfin vendu à son prix d’équilibre. Ma décision est alors plus libre : je ne suis pas influencé par l’effet d’opportunité que représente le rabais dans l’imaginaire collectif.

Les prix barrés, les couleurs des étiquettes et la présence des articles de la « nouvelle collection » ne sont pas étrangers à ce sentiment stressant qui nous rend inquiets à la simple idée de « laisser passer la bonne affaire ». Laquelle des deux visions est la plus juste ? Si je vous disais que le prix de reviens de l’article est d’à peine 5 euros, ça vous aiderait à y voir plus clair… non ? Je propose un nouvel étiquetage hors période de solde. Prix normal : 40 euros. Prix majoré pour vous : 100 euros. C’est tout de même plus honnête.

On voit donc que la tarification des soldes est un pur jeu de price-targetting. Les gens riches ou très sensibles à la mode achètent les articles au prix fort peu importe la période, parce qu’ils peuvent se le permettre (ou du moins pensent le pouvoir). Les gens ayant un pouvoir d’achat intermédiaire achètent en première démarque. Ceux, enfin, qui ont des moyens économiques très faibles n’ont d’autre choix que d’attendre que les prix baissent jusqu’à leur devenir abordables. Chaque classe économique paye donc le maximum du prix qu’elle est capable de financer pour un article qui lui plait.

Le price-targetting, une pratique choquante ?

Bien sûr, le price-targetting paraît malhonnête, car il revient le plus souvent à manipuler le jugement du consommateur, à faire appel à certains ressorts psychologiques inconscients et, en cela, à amoindrir le libre arbitre de celui qui achète. Ce dernier n’est pas sans responsabilité dans cette histoire, puisqu’il choisit une approche particulière de ce qu’il consomme : une distance entre ses besoins et ses envies, une approche affective de l’acte d’achat qui devient, dans notre société, un acte d’accomplissement de soi, ou du soi qu’on aimerait devenir.

Price-targetting, prix ciblé, ou encore prix sur mesure peuvent dans d’autres contextes être des vecteurs positifs. Exemple : une clinique ambulante qui soigne la cataracte dans des villages indiens. Ceux qui ont les moyens payent un prix modique. Pour les autres, c’est gratuit. Par ailleurs, dans la plupart des marchés du monde, les articles achetés font l’objet d’un âpre marchandage qui résulte en un prix différent pour chaque consommateur. Ce prix est en fait la mesure de ce que les gens sont prêts à payer. Pour peu qu’on y réfléchisse, il y a une certaine forme de justice économique dans le fait que les gens « payent ce qu’ils peuvent ». On voit en revanche que le contexte et le mécanisme par lequel est appliqué le prix sont très importants et font que le price-targetting est appliqué soit comme une mesure de justice sociale, soit comme un outil de manipulation des consommateurs. A nous donc de regarder les étiquettes avec la bonne paire de lunettes…

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12 Commentaires

  1. pour ce qui est de la boulangerie:
    d’abord il faudrait considérer le prix des matières premières à l’achat et non pas à la revente, donc voir si les noix les céréales, le raisin, la farine complète bio type 65 coûtent plus cher que la farine blanche simple au boulanger;
    ensuite il faut prendre en compte les innovations, élaborations qu’il fait parfois et qui méritent salaire, ainsi que le travail que cela implique de faire des tas de petits pains différents;
    enfin il faut considérer le risque qui est pris qu’il faille les jeter -ou en tout cas ne pas les vendre- parce qu’ils ne se vendent pas.

    pour ce qui est des vêtements:
    c’est tout à fait vrai ce que vous dites, on ne devrait se jeter sur les soldes que pour payer enfin au bon prix ce dont on a besoin pour l’année et pas s’imaginer qu’on fait des affaires.

    pour ce qui est du panier d’achat:
    c’est vrai qu’on entend partout (non pas par la publicité mais par des gens sérieux : médecins, associations écologistes et humanitaires…) qu’il ne faut pas manger telle viande nourrie aux hormones, tel soja OGM, utiliser tel déodorant cancérigène, acheter tel vêtement fabriqué en chine donc au mépris des ouvriers et transporté sur des milliers de kilomètres …
    or c’est tout à fait normal que l’on veuille protéger notre santé, celle de nos enfants, celle de la planète, les droits sociaux des travailleurs asiatiques, que l’on ne veuille pas favoriser tel grand groupe qui licencie ou pollue au profit du petit producteur, du petit artisan…
    donc qu’on ne nous dise pas que le coût de la vie n’a pas augmenté si on doit payer plus pour éviter tout ça et que pour un prix égal on a quelquechose d’inférieur sur un plan gustatif, nutritionnel, éthique!

  2. As salâmou alaykoum,
    je travaille en livraison de boulangerie industrielle; mon boss, à qui il faudra que je demande une augmentation suite à cet article, pratique lui aussi le « price targetting »: gérant de boulangeries traditionnelles, il possède aussi des magasins où l’on ne trouve que du pain « de luxe » à des prix… de luxe; et dire qu’au leclerc d’à côté, la baguette était à 29 cts (il parait qu’elle a augmenté depuis); concernant les soldes, j’ai toujours considéré ça comme une arnaque, surtout au niveau des vêtements: je préfère attendre d’aller au bled pour acheter de la contrefaçon à mes enfants (pour ma part, porter des marques me donne l’impression d’être un homme sandwich)

  3. as-salâmu ‘alaykum

    Mohammed

    et porter des vêtements de contrefaçon, ça ne vous donne pas l’impression d’être une contrefaçon d’homme-sandwich ? 🙂

  4. As salâmou alaykoum,
    perso, je n’en porte pas, c’est surtout mes filles, mais ça a 2 avantages : c’est moins cher et l’argent va à des frères… merci d’avoir souligné ma contradiction…

  5. assalam,

    Reste à décortiquer d’autres variables dans les tarifs, au-delà du coût de fabrication. Le boulanger de luxe s’installe dans un quartier où l’immobilier est onéreux. Le boulanger de luxe reçoit sa clientèle dans un magasin classe. Le boulanger de luxe recrute des gens expérimentés dans la vente / la fabrication. Le boulanger de luxe concocte des gourmandises décorées avec soin.

    Et tout cela se répercute sur le prix de vente.

  6. > Ce prix est en fait la mesure de ce que les gens sont prêts à payer.

    Je vous conseille de vous intéresser à la notion de la subjectivité de la valeur. Un bien qui a plus d’utilité pour un individu A qu’un individu B, aura plus de valeur pour le premier.

  7. salam alaykoum
    je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce point de vue.en tant que musulman nous sommes sensés avoir une éthique avec notre créateur,avec les humains,avec la création de dieu,avec notre ego…donc une personne qui achète un produit bio pense tout ceci.il y a une conférence de tariq ramadan qui traite du sujet du rapport avec la création.ne voyons pas le halal comme une simple marchandise.nous voyons du halal de partout.franchement quand vous lisez sur une nouveille bouteille de « soda halal » et que le concept .c’est bon pour la santé????

  8. Le price targetting existe et se développe encore plus sur internet, grâce aux cookies et autres informations sur notre personne certains sites marchand adaptent le prix en fonction du profil du visiteur (c’est n’est pas le cas chez Hanut!). Il me semble que les premiers à s’être lancé dans cette pratique furent Amazon dont les prix des livres variés selon le visiteur. Par exemple; si la personne avait déjà acheté ou non sur le site, si c’était le cas alors les prix était plus cher. Ainsi, une personne qui fait un premier achat sur Amazon se dira: « waouw les prix sont vraiment bas » et cette première impression restera, même si lors des autres connexions les prix augmenteront sans que le visiteur le sache.

    Je parle au passé, car je sais qu’Amazon avait eu des problèmes avec la justice sur ce point, mais je ne sais pas comment cela s’est fini et ce qu’il en est aujourd’hui.

  9. C’est le cas de Facebook !!! ( VOUS NE ME CROYEZ PAS ?? , je vous assure que c’est vrai ) : Lorsque vous acceptez leur contrat d’utilisateur , il y a une condition qui dit en gros  » En vous inscrivant chez Facebook , vous concédez tous les droits de propriété , de diffusion , d’étude à des fins publicitaires ( en fait ils regardent à l’aide de nos photos et autres nos besoins de consommation pour y apporter des publicités mieux appropriées !! ) avec possiblité ( vrai en fait ) de les vendre à des sociétés tierces sans rémunération pour vous !!

    C’EST ABSOLUMENT SCANDALEUX : ILS SE FONT DE L4ARGENT AVEC VOS DONNEES PERSONNELLES , ET MÊME SI VOUS SUPPRIMEZ VOTRE COMPTE , ILS ONT TOUJOURS LES DROITS DESSUS !! JE DEMANDE UNE REACTION DE LA REDACTION D’ AL-KANZ LA-DESSUS EN PARTIE DUFAIT QU’A LA FIN DE CHAQUE ARTICLE ON A UN LIEN FACEBOOK (même si le but de ce lien est de propager des bonnes nouvelles ).

    As salamu alaykum !

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