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Les rites de la omra, travaux pratiques

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Hajj. Marwan Muhammad, auteur de Foul Express (http://www.foulexpress.com), nous propose le troisième épisode de son carnet de bord tenu pendant son pèlerinage dans les lieux saints de l’islam et intitulé « Jusqu’au bout du cœur« .

Le tawaf et le sa’y


Etant mutamatti’ (le pèlerin qui réalise une ‘umra puis un hajj selon la formule tamattu’), le tawaf que je m’apprête à réaliser vaut pour qudum (arrivée) et ‘umra. Le tawaf consiste en sept tours complets autour de la Kaaba, en commençant et en finissant par l’angle où se situe la Pierre noire, dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Au moment où j’arrive près de la Pierre noire, une lampe verte sur le mur qui entoure la cour intérieure m’indique que je suis au bon endroit. Allahu Akbar, c’est parti. Le tawaf vaut prière. Il est un des rites obligatoires de la ‘umra et du hajj, mais vaut aussi comme tahyatul masjid al Haram, l’équivalent de la prière de deux rakaat surérogatoires que l’on réalise en arrivant dans une mosquée. Il faut donc éviter de parler et se concentrer sur ce que l’on fait. On peut faire des du’a (invocations), du dhikr ou lire du Coran par exemple. Ça m’aide beaucoup de me rappeler de tous ceux qui nous ont précédés ici, de me dire que je marche dans les pas de Muhammad (saws), de Moussa (as), de ‘Issa (as) et des prophètes qui les ont précédés jusqu’à Ibrahim (as).

On doit essayer de toucher (et si possible d’embrasser) la pierre noire, mais vu le monde qui s’y presse, ça nécessite de prendre part à une bousculade dans laquelle il est probable que je heurte un frère ou une sœur sans même le vouloir. Je m’abstiens donc et me contente de la saluer de la main à chaque tour. Tout le monde est collé, Donc tout le monde se bouscule sans faire exprès, en essayant de mettre la main devant soi pour éviter de donner des coups. De temps en temps quelqu’un se fâche quand les nerfs s’emballent un peu, mais en général, ça finit en quelques secondes par une embrassade fraternelle et un appel à la patience.


Ceux qui insultent l’islam prennent souvent ce rite en dérision, mais ils omettent de dire qu’une version détournée du tawaf serait une bonne image pour la vie que nous menons, ici dans les sociétés occidentales. 
Imagine que tu es dans une voiture sur une avenue. En la suivant, tu arrives sur un rond-point sur lequel tu t’engages. En faisant le tour du rond-point, tu regardes la première sortie, mais elle est barrée par un panneau « sens interdit », puis la deuxième… « sens interdit », puis la troisième, puis la quatrième… puis la cinquième par laquelle tu es venu. Toutes sont des avenues en sens unique qui permettent d’arriver au rond-point mais pas d’en sortir. Tu continues à faire des tours en te demandant ce que tu fais là. Quand tu passes près d’un autre automobiliste, tu baisses ta fenêtre et lui demandes « Mais qu’est-ce que tu fais ? ». Il te répond : « Je ne sais pas, mais continue de tourner, ça vaut mieux ! ». En effet, une des règles de ce rond-point est : « Mieux vaut continuer à tourner et qu’il ne se passe rien plutôt que d’arrêter de tourner et de prendre le risque qu’il se passe quelque chose ». Beaucoup de monde est maintenant sur le rond-point. Ça klaxonne, ça insulte, ça se dépasse de manière plus où moins régulière, ça tourne à t’en faire tourner la tête. Si quelqu’un ralentit, on lui rentre dedans. Si quelqu’un accélère, tout le monde accélère. Tu essaies tant bien que mal de trouver ta place, quand soudain tu prêtes attention au monument au centre du rond-point autour duquel tu tournes maintenant depuis un bon moment. Il a une allure massive, pharaonique, mais il commence à s’effriter un peu. Des inscriptions sont gravées dessus : « Réussite sociale. Reconnaissance professionnelle. Célébrité. Pouvoir ».

Là, tu réalises que tous ces gens sont en train de faire leur tawaf autour du monument représentant les valeurs centrales de leur univers, et tu es (et je suis) malheureusement l’un d’entre eux. Tu cherches alors la faille de ce système dans lequel tu t’es engagé sans vraiment savoir ce qui t’attendait. Pour t’aider, considère quelques différences fondamentales avec le tawaf des musulmans autour de la Kaaba : d’abord, tous ces gens vont dans la mauvaise direction. Cette direction s’appelle « nulle part » (et elle n’est jamais bien loin, d’ailleurs pour y aller il suffit de tourner en rond…). Ensuite, personne ne sait ce qu’il fait là et tout le monde fait comme s’il fallait éviter de se poser cette question. Chacun s’efforce de tourner le plus vite possible, en doublant les autres puis en redoublant les mêmes, et peu importe s’il y a parfois de la casse pour les véhicules les plus faibles. Enfin, le système est dessiné de façon à ce que tous soient convaincus qu’il n’y a pas de sortie, d’ailleurs les panneaux « sens interdit » sont prévus pour dissuader toute personne d’aller contre le flux des aspirants à la « réussite ». Tout le monde semble accepter docilement l’ordre circulaire des choses qui les mène inéluctablement à une panne sèche au milieu de nulle part.


Dans notre tawaf autour de la Kaaba, les choses sont complètement différentes. On sait qu’on y est pour un nombre de tours déterminés : sept. La destination (intermédiaire) est la Kaaba, tandis que notre voyage est spirituel. On sort plus facilement qu’on est rentré. On se bouscule mais ça ne fait – une fois oubliées les petites contrariétés passagères – qu’augmenter notre amour les uns des autres. La Kaaba est un symbole de l’unicité de Dieu (swt). On s’y rend en la cherchant et pas en se perdant. Sa visite nous élève au lieu de nous condamner à notre fin. 
Nous ne sommes pas tous égaux dans le tawaf : mamans indonésiennes, colosses venus du Turkménistan, businessmen anglais qui n’ont jamais été bousculés que par le cours de leurs placements en bourse… tous ont une façon différente de se déplacer, de se frayer un chemin, de vivre avec les autres. Pour la première fois depuis mon arrivée ici, je réalise la beauté des mille couleurs de l’islam à travers le monde : c’est un kaléidoscope aux nombreuses facettes, dont chacune participe de toutes ses forces et de tout son cœur à la beauté de l’ensemble.


Des groupes de pèlerins traversent la foule comme des trains en marche que rien ne peut stopper, criant leurs supplications à l’unisson en turc, en perse, en wolof, en arabe (parfois avec des « gu » à la place des « j »…). Passer derrière eux est parfois une bonne façon d’accomplir son tawaf en évitant de trop bousculer les autres (mais ça nuit sérieusement au recueillement et à la concentration). L’effet de groupe est encore renforcé par des tenues et des uniformes assortis. La couleur des Indonésiens cette année est le bleu turquoise. Les frères du Mali ont fait faire des boubous spécialement pour le hajj, avec des inscriptions « Mali, hajj 2008 » très colorées. Les Turcs sont en tenue de ville beige avec un drapeau turc brodé sur la poitrine, très discrets. Les Égyptiens se baladent avec un collier de tissus aux couleurs de leur drapeau, ainsi que les Indiens, etc. Chaque pays, chaque peuple a envoyé une honorable délégation pour le représenter.


Autant que les couleurs et les habits des musulmans du monde entier, les émotions sur leurs visages disent qui ils sont. Les joies et les tristesses dans les yeux de mes frères et sœurs m’ont fait passer avec eux du rire aux larmes. Chacun(e) d’entre nous vit dans ces moments à Mecca les instants les plus importants de sa vie. Ceux qui ont le plus de sens. Dans cette ultime intimité qui les lie à Dieu (swt), ils sont complètement eux-mêmes et font face, parfois pour la première fois, à leur Vérité. C’est pour moi le cas. Je me surprends parfois naïvement à vouloir « consoler » un vieillard en sanglots en le prenant dans mes bras, puis me ravise : ses larmes lui sont ici plus salutaires que mon réconfort. Je détesterais qu’on m’interrompe dans un moment si personnel et si précieux. Comment expliquer que je me sente plus proche d’un pèlerin inconnu que de mes collègues avec qui je passe mes journées à Londres ? Dis-moi qui tu adores et je te dirai qui tu es… nous les musulmans adorons tous Allah (swt) et nous sommes un seul et même corps, une seule et même oumma. Notre identité est l’islam. C’est cette identité qui fait que je serais toujours plus proche de mon frère ou de ma sœur du bout du monde que de qui que ce soit rencontré sur le « rond-point de nulle part »…

Après le tawaf, il est recommandé de faire une prière de deux rakaat derrière Maqam Ibrahim (as), l’endroit où l’empreinte de ses pieds est encore visible (où a un autre endroit de la mosquée s’il y a trop de monde), puis de boire de l’eau de Zamzam en faisant une du’a.

A propos de l’eau de Zamzam, d’où vient-elle et pourquoi a-t-elle un statut spécial en islam ?


Quand Ibrahim (as) reçut l’ordre de Dieu (swt) d’emmener Hajar et son fils Ismail (as) en Arabie, il lui fut ordonné de les laisser dans la vallée de Bacca (devenue aujourd’hui Mecca). Hajar lui demanda si c’est bien Dieu (swt) qui lui avait donné cet ordre, ce à quoi il répondit par l’affirmative. Hajar avait confiance en Dieu (swt) et dans le destin qu’Il avait choisi pour elle. Elle accepta le départ d’Ibrahim (as). 
Seule avec son fils au milieu du désert, la faim et la soif ne tardèrent pas à se faire sentir. Le bébé Ismail (as) pleurait. De plus en plus fort. Hajar s’inquiétait et redoutait de voir son fils mourir de soif dans cette vallée désespérée. Elle monta en haut d’une colline proche pour voir si une caravane passait au loin… qui sait, peut-être les prendrait-on en pitié en les secourant. Mais rien ne se profilait à l’horizon. Puis elle courut jusqu’à la colline diamétralement opposée de l’autre côté de la vallée, mais aucun secours ne semblait venir. Ces deux collines sont nommées « Safa » et « Marwa ». Dans sa tête et dans son cœur de maman, à ce moment précis, il se passe la même chose que dans notre cœur quand le désespoir nous guette. Elle sait qu’il n’y a rien à attendre d’un côté ni de l’autre, mais l’amour et la détresse de son fils la font espérer encore. Peut-être qu’elle a mal vu. Peut-être qu’entretemps quelqu’un est passé par là. Peut-être que le secours est caché derrière une colline. Peut-être qu’un miracle va se produire. Ce trajet d’une colline à l’autre, elle l’a fait sept fois, avant que le tant attendu miracle ne se produise. L’archange Djibril (as) descend des cieux et fait jaillir, sous le pied de l’enfant Ismail (as) la source de Zamzam. Les voilà sauvés par la grâce de Dieu (swt). La source de Zamzam ne tarit pas. Son dosage minéral ne change pas. La même source bénie abreuve et désaltère encore les pèlerins du monde entier au moment où j’écris ces lignes.


C’est pour commémorer cet évènement qu’il est demandé aux pèlerins qui accomplissent la ‘umra ou le hajj de réaliser le sa’y, la course entre Safa et Marwa. C’est le grand honneur fait à Hajar. En allant d’une colline à l’autre (aujourd’hui bien aménagé pour faciliter la circulation des pèlerins), je pense à Hajar, en essayant de ressentir ce qu’elle a ressenti pour son fils. Et si c’était mon enfant qui était en détresse en ce moment, quels sentiments me traverseraient le cœur ? Amour, tendresse, inquiétude, responsabilité, espoir. Je me dis aussi que quel que soit l’amour qu’on peut porter à nos enfants, l’amour que Dieu (swt) nous porte est plus grand encore.


Hôtel. Douche. Vêtements propres. 


Je suis seul dans notre belle chambre. Les autres frères ne sont pas présents. Je plie soigneusement ma tenue d’ihram avec plein d’images qui se succèdent dans ma tête. La climatisation fonctionne doucement et diffuse un flux d’air frais qui remplit la pièce, réduite au silence par son double vitrage. Dehors il fait chaud, les gens s’activent et se préparent pour la prochaine prière, me donnant l’impression d’être dans cet endroit comme hors de la vie. Ce huis-clos silencieux et hors du temps que représente la chambre d’hôtel, c’est peut-être là où les personnages vont quand on presse le bouton « pause » au milieu d’un film. Si on arrivait dans cet endroit, qu’est-ce qu’on verrait? Est-ce qu’on aurait conscience de ce que les autres vivent et de ce que nous vivions nous même juste avant que le film ne s’arrête ?


En vérité, je ne pensais qu’à une chose : descendre prier à la mosquée, ce qui, quand on est à quelques centaines de mètres de la Kaaba, fait partie des choses les plus belles dont on puisse être reconnaissant à Dieu (swt). 
Maintenant je me sens réconcilié avec Lui, accueilli dans Sa Maison et à l’aise dans cet endroit irréel où je ne suis pourtant que depuis vingt-quatre heures. Plus rien d’autre ne compte pour moi. Que représentent ici les trente dernières années de ma vie, sinon des souvenirs ? Quel statut me vaut mon job, si ce n’est le temps qu’il me faut pour me rendre à la mosquée, inversement proportionnel à ce que je suis prêt à payer pour accomplir mon pèlerinage ? Qui me protège et qui s’occupe de moi? Qui apaise mon sommeil et remplit mon cœur de joie ?


Les quelques jours qui suivent ma ‘umra sont des jours de paix, de prière, de vie à la mosquée mais surtout de réflexion. Il faut bien préparer mon cœur au hajj qui est mon principal objectif ici. Au pèlerinage, une réalité s’impose au fur et à mesure : on est au milieu de millions de frères et sœurs, mais on est seul face à Dieu (swt) vers qui sont dirigés notre cœur et nos pensées. 
La vie au milieu de mes coreligionnaires, malgré cette solitude du cœur, est une expérience incroyable. Être un point au milieu de la multitude procure un sentiment fort d’appartenance à quelque chose de grand. Le plus grand rassemblement de l’humanité. L’islam fait des hommes une mosaïque aux milles couleurs, qui se réunissent à Mecca pour l’amour de Dieu (swt) et la quête de Son Pardon, de Sa Satisfaction.

J’essaie souvent de décrire aux non-musulmans le sentiment qui peut m’unir à mes frères et sœurs en islam, mais c’est très difficile de leur transmettre cette émotion. D’ailleurs, s’ils étaient capables de la vivre, ils seraient déjà bien proches de l’islam, car le lien de fraternité englobe la notion « d’amour en Dieu » qui veut qu’un musulman espère pour son frère ou sa sœur en islam la plus belle des réussites spirituelle et religieuse, le Pardon et l’accomplissement de ses rêves. On répond souvent à une marque de fraternité par l’expression « que Celui pour qui tu m’aimes t’aime en retour… », comme pour dire qu’on veut réussir ensemble sur le chemin que Dieu (swt) nous a assigné. 
C’est ce qui fait que des gens d’âge, de langue, de milieu, de coutumes et de pays différents puissent vivre et partager des moments forts comme une famille. Car c’est ce que nous sommes, au fond : des frères et des sœurs. Pas au sens figuré mais au sens propre : les fils et les filles d’Adam et d’Ève. 
Mes frères du monde entier… chacun ses mots et sa façon de me sourire, parfois avec beaucoup de retenue, parfois avec un geste franc, toujours avec chaleur et sincérité. Quand quelqu’un qui n’a rien le partage avec toi, tu commences à comprendre que l’islam n’est pas un régime alimentaire ni une revendication identitaire, mais le cœur et le sens de la vie, de ma vie, de ta vie.

Crédit photo Une : Flickr – Al Jazeera (dernier jour du hajj, novembre 2009)

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