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Paris-La Mecque à vélo : 6 000 kilomètres pour alerter sur l’urgence climatique

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Docteur en sciences politiques, Nabil Ennasri est aussi directeur d’un centre de formation en région parisienne, conférencier et auteur de plusieurs ouvrages. Profondément préoccupé par l’urgence climatique, le politologue a choisi de prendre à bras le corps les questions écologiques… en relevant un défi sportif : rouler à vélo deux mois durant de Paris à La Mecque. Pour, au bout, accomplir le hajj. Interview.

Al-Kanz : Vous avez décidé de rejoindre La Mecque à vélo depuis Paris. Passé la surprise ou l’admiration, on se demande ce qui vous motive ? Plus trivialement, qu’allez-vous faire donc dans cette galère ?
Nabil Ennasri : Partir, depuis Paris, à La Mecque à vélo peut paraître effectivement un peu fou. Ce n’est pas tous les jours qu’on se dit qu’on va parcourir près de 6 000 kilomètres pendant deux mois, à la seule force de ses jambes, dans le but d’accomplir le hajj. Je mûris cette idée depuis environ trois ans, porté par deux motivations profondes qui m’ont amené à sauter le pas, deux grands enjeux : les questions autour de l’habitabilité de la planète et la place qu’occupent les enjeux autour de cette problématique dans les communautés musulmanes.

Études après études, des scientifiques du monde entier, dont ceux du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, NDLR] ne font que confirmer le caractère irréversible d’un changement climatique qui met en péril les possibilités de vie sur terre. Ce sujet absolument central est certes de plus en plus investi par les autorités politiques, économiques ou médiatiques, ainsi que par la société civile, mais on est encore loin du compte. C’est pourquoi je souhaite contribuer à développer la prise de conscience autour d’un problème, qui conditionne tous les autres défis que le genre humain doit affronter.

Mon second objectif concerne plus spécifiquement les musulmans. J’aimerais à ma modeste échelle agir pour remédier à un constat accablant : malgré l’urgence, les questions liées au devenir de notre planète sont, chez les musulmans, en grande partie éclipsées. Tout se passe comme si ce sujet n’existait pas, comme si nous nous accommodions d’être à la marge de ce défi du siècle, pourtant décisif pour les générations futures.

Comment réinvestir un discours d’engagement au sein des communautés musulmanes afin de les sensibiliser et de les amener à s’investir véritablement ? Mon périple à vélo jusque La Mecque est la réponse que j’ai choisi d’apporter à cette question. L’effort physique peu commun qu’un tel défi nécessite et la promotion de la mobilité douce comme moyen de transport associés à la pratique religieuse me paraissent être une bonne manière d’intéresser le plus grand nombre.

Al-Kanz : Vous parlez de « péril écologique ». D’aucuns vous diront que,  vous exagérez quelque peu, confortés notamment par l’inanité des autorités qui ne prennent pas les dispositions que l’urgence évoquée appelle.
Nabil Ennasri :
La crise qui se profile devant nous ne doit pas être réduite ni au dérèglement climatique ni au réchauffement de la planète. Ce n’est là qu’un aspect d’un problème qui va mener à court terme à une forme de basculement de nos vies. Je suis persuadé que nous nous dirigeons vers la fin d’un monde. J’entends ici la fin de la civilisation moderne basée sur le mythe de la croissance perpétuelle, de l’abondance énergétique et de la domination de la puissance thermo-industrielle. Ce schéma de civilisation a certes permis un incroyable accroissement du niveau de vie pour une grande partie du globe, mais il ne faut pas oublier que cela n’a été rendu possible qu’au prix d’une dégradation dramatique d’une nature reléguée au statut de ressource exploitable alors qu’on devrait l’envisager comme un être à respecter.

Nombreux sont ceux qui trouvent que cet état des lieux est exagéré ou qui pensent que la science et la technique combinées à l’innovation vont nous permettre d’éviter le crash. Cette attitude est nourrie par :

— d’abord une méconnaissance parfois abyssale de l’ampleur des dégâts causés par l’homme au vivant. Cette réalité est pourtant dûment documentée. Je ne demande pas aux gens de lire les 10 000 pages du dernier rapport du GIEC, mais au moins d’en connaître les grandes lignes en consultant de temps à autre la presse et les sites spécialisés. L’ONU a par exemple le mois dernier publié un article sur le dernier « guide de survie pour la planète » du GIEC.

— ensuite un déni profond. Les questions liées au climat bousculent notre mode de vie basé sur un confort duquel il est difficile de s’arracher. Pourtant, nous dépassons à un rythme effréné les capacités de la planète à reconstituer ses ressources et à absorber les déchets produits par l’activité humaine. Si l’on continue ainsi, cette fuite en avant ne fera qu’obérer les chances des générations futures à entrevoir un futur désirable.

Comme d’autres, j’ai l’intime conviction que cette crise systémique est largement sous-estimée et sous-évaluée. Le malheur de l’être humain est, pour paraphraser Machiavel, de ne pas prévoir l’orage par beau temps. Il fait aujourd’hui encore beau, mais de gros nuages s’amoncellent à l’horizon. Le grand pari est de savoir si nous serons suffisamment prêts pour nous adapter à la tempête inédite qui approche et dont l’ampleur et la violence dépendent en grande partie du sursaut que l’on entreprendra (ou pas) aujourd’hui.

Al-Kanz : Partir à vélo au hajj à La Mecque, c’est donc ainsi que vous souhaitez faire évoluer les mentalités sur ces questions ?
Nabil Ennasri
: Je reste persuadé que l’une des manières d’agir sur le réel est de prendre en considération la vie concrète des gens et de comprendre comment ils façonnent à la fois leur représentation du monde ainsi que leurs désirs, leurs attentes et leurs motivations.

J’ai prévu de raconter ce long voyage à vélo qui se terminera avec le hajj sur les réseaux sociaux. J’aimerais rendre mon périple immersif, essayer de le faire vivre de l’intérieur. Mon but est d’amener le plus grand nombre vers une réforme progressive, inspirante, joyeuse et emplie de spiritualité, sans être dans la culpabilité ni le jugement. Je pense que cette manière permettra d’introduire en douceur les questions relatives à l’écologie, surtout si elles sont couplées à la dimension hautement méritoire du hajj.

Je rappelle que le déplacement vers La Mecque a historiquement toujours été effectué à pied ou à dos de monture. Ce n’est que l’irruption des moyens de transport modernes (surtout l’avion) qui a radicalement changé les façons de s’y rendre. Cette transformation ne date que, tout au plus, d’une cinquantaine d’années. Elle finira par s’éteindre. On le sait de nombreuses ressources naturelles comme le pétrole ou le cuivre vont bientôt arriver à épuisement.

Al-Kanz : Qu’attendez-vous des communautés musulmanes ?
Nabil Ennasri
: Ce que j’attends surtout, c’est une forme de réconciliation et de cohérence entre les sources de l’islam et la pratique de chacun. Même si on constate des initiatives locales ici et là et une évolution salutaire notamment chez certains jeunes, force est de constater que l’état des lieux reste peu reluisant.

Pourtant, le texte coranique recèle d’appels au respect du vivant, à la considération d’une création qui a été mise entre les mains de l’homme comme un dépôt (amana). La responsabilité de l’être humain dans la vice-gérance dont il a été missionné par Allah (khilafa) est de respecter le cadre naturel qui lui a été confié, de le considérer comme un espace de vie et non de le défigurer comme il est en train de le faire dans une aliénation aussi volontaire qu’édifiante. Je rappelle souvent les deux types de révélations qui ont été mises en évidence par le grand sage et érudit Abu Hamid Al-Ghazali. Ce dernier distinguait la Révélation écrite, al-Kitab al-mastur, c’est-à-dire le Coran, du Livre déployé, al-kitab al-manchur.

Ce livre déployé est celui de la faune, de la flore, de la création, des astres, des cieux et de la terre, du vivant en général. Lorsqu’on médite sur la biodiversité, les écosystèmes et la nature, lorsqu’on la regarde avec le cœur, on se rend compte qu’il y a dans sa beauté et son équilibre le signe manifeste de la présence d’un Créateur. Il est donc surprenant de constater que les musulmans soient absents de toute cette réflexion destinée à préserver un environnement, lui-même miroir d’une grâce divine, alors qu’ils devraient être les premiers à s’en préoccuper.

Que ce soit dans la course à la consommation d’énormément de fidèles — dérive que l’on constate jusqu’au cœur des lieux saints d’ailleurs — ou dans les choix des pays musulmans qui sont pour certains les plus grands pollueurs de la planète par habitant, cette contradiction entre le Coran, qui propose une écologie qui, par ailleurs, nourrit notre âme, et le comportement des musulmans trop souvent ballottés entre ignorance et négligence est devenue à mon sens tant intenable que source de tension intérieure.

En bref, j’ai choisi de dépasser le stade de l’indignation, voire de la lamentation, et j’ai opté plutôt pour l’action et l’accompagnement progressif du plus grand nombre, avec l’espoir d’arriver à un changement de regard, de mentalités et d’habitudes.


#HadjByCycle : suivez le périple de Nabil Ennasri sur les réseaux sociaux

Vous pouvez suivre Nabil Ennasri notamment sur Twitter, Facebook et Instagram, réseaux sociaux où il racontera son voyage et partagera ses réflexions sur l’écologie et les enjeux du changement climatique :
– Twitter : @NabilEnnasri
– Instagram : @nabilennasri
– Facebook : @EnnasriNabil

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1 COMMENTAIRE

  1. Qu’Allah (Subhana’Allah wa ta’ala) lui facilite ce magnifique voyage.

    D’après Jabir (qu’Allah l’agrée), le Prophète (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui) a dit: « Ceux qui font le hajj et la ‘omra sont les invités d’Allah, Il les a appelé et ils Lui ont répondu et ils lui ont demandé et Il leur a donné (*) ».
    (Rapporté par Al Bazar et authentifié par Cheikh Albani dans la Silsila Sahiha n°1820)

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