Halal : Carrefour devient actionnaire de l’enseigne HMarket

Partenaires depuis deux ans, Carrefour et HMarket franchissent un cap stratégique. Mais l’entrée du géant de la distribution au capital de l’enseigne halal, annoncée à hauteur de 10 %, expose cette dernière à un risque majeur : celui de voir ses clients la sanctionner par le boycott sur fond de génocide à Gaza.

Carrefour et Hmarket, partenaires depuis 2023

Si le premier accord entre Carrefour et l’enseigne halal remonte à 2022, leur partenariat a pris une dimension publique à partir de 2023 et la conversion de trois magasins Supeco en magasins HMarket : Saint-Maximin dans l’Oise, Vert-Saint-Denis en Seine-et-Marne et Buchelay dans les Yvelines.

Sous double bannière « HMarket & Supeco », ces établissements ont été cédés par Carrefour en location-gérance, avec en prime un accord d’approvisionnement et de licence d’enseigne.

A la peine et très loin du potentiel estimé à 400 magasins en France, la filiale du numéro deux français de la grande distribution ne comptait alors que 33 unités. Le deal d’avec HMarket est une aubaine à plus d’un titre :
— plutôt que de fermer ses magasins en souffrance, Carrefour les maintient ouverts sans en assumer seule toute la charge ;
— la location-gérance transfère au partenaire locataire une partie des risques d’exploitation ;
— la marque Supeco, en perte de vitesse, bénéficie d’un regain de visibilité ;
— Carrefour écoule ses produits, notamment sous sa marque de distributeur (MDD), via un nouveau canal particulièrement prometteur ;
— last but not least, désireuse depuis de nombreuses années de conquérir les consommateurs musulmans, Carrefour n’est jamais parvenu à s’imposer sur ce marché en forte croissance. Avec ce partenariat, l’enseigne espère se tailler la part du lion, tout en coupant l’herbe sous le pied de la concurrence, qui elle aussi lorgne sur l’énorme gâteau du halal alimentaire.

Pour HMarket, l’accord avec Carrefour représente également une opportunité stratégique majeure :
— l’enseigne conserve son identité, l’ajout discret de « & Supeco » ne venant ni l’éclipser ni la vampiriser ;
— elle profite de conditions d’approvisionnement compétitives grâce aux centrales d’achats Carrefour ;
— l’assortiment de nombreux produits de grande consommation qu’elle propose dès lors gagne en profondeur ;
— enfin, elle accélère son développement et consolide son positionnement à des coûts bien moindres que si elle avait dû avancer seule.

Deux ans après ce premier accord, essentiellement opérationnel et commercial, Carrefour et HMarket ont choisi d’aller plus loin en franchissant une nouvelle étape : comme l’a révélé, mercredi 10 septembre, le journaliste Morgan Leclerc pour le site d’informations L’Informé, Carrefour est entré au capital de l’enseigne halal.

10 millions d’euros injectés dans HMarket

Selon les documents financiers consultés par Al-Kanz, Carrefour France a procédé à un versement de 10 millions d’euros dans le cadre de l’augmentation de capital de la société M3, holding familiale contrôlée par les frères Mounir et Badr Guelli, maison-mère de l’enseigne HMarket.

En entrant ainsi au capital, Carrefour passe de simple partenaire et fournisseur à partie prenante dans les décisions stratégiques. Désormais actionnaire minoritaire à hauteur de 10 %, le distributeur aura en effet son mot à dire. « Cette opération s’inscrit à la fois dans la continuité du contrat d’approvisionnement en place depuis plusieurs années et dans le soutien au développement d’une enseigne à forte dynamique commerciale », précise le groupe ce jeudi 11 septembre à L’Informé.

M3 reste sous le contrôle de ses fondateurs. Pour autant, ces derniers ne peuvent plus décider seuls et devront, pour certaines orientations, composer avec Carrefour. Une montée progressive au capital n’est d’ailleurs pas à exclure, avec ce que cela impliquerait d’avantages comme d’inconvénients pour HMarket.

Appels au boycott

Mais, dans l’immédiat, la véritable menace pour l’entreprise, qui a certainement sécurisé ce nouvel accord par un pacte d’actionnaires ad hoc, ne réside pas dans sa gouvernance, mais dans son exposition au boycott d’Israël.

Accusée de soutenir la colonisation de la Palestine et de complicité de crimes de guerre, Carrefour figure en bonne place parmi les cibles prioritaires de la campagne internationale de BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), aux côtés de Coca-Cola, AXA, BNP Paribas, Zara, Reebok, Microsoft, McDonald’s ou encore HP, et fait également l’objet d’une intense mobilisation à travers le monde.

Les réactions n’ont d’ailleurs pas tardé : à peine l’information de l’entrée de Carrefour dans le capital de HMarket dévoilée, un flot de commentaires oscillant entre consternation, déception et colère, a surgi sur les réseaux sociaux.

Interpellée depuis deux ans et son partenariat initial, HMarket a jusque-là éludé la question et nié toute collaboration avec son nouvel actionnaire espérant éviter les foudres de sa cible principale, les consommateurs musulmans. Une posture qui devient désormais intenable : en prenant une participation, Carrefour contraint l’enseigne halal à assumer une alliance aussi stratégique que périlleuse.

Contactées, aucune des deux enseignes n’a pour l’heure donné suite à notre demande d’interview.