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Finance islamique : le sukuk d’Al Rayan Bank, un signal fort pour la France

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Co-fondateur de la société spécialisée en finance islamique 570 easi, Anass Patel livre une analyse du succès de l’émission d’un sukuk en février dernier par la banque britannique Al Rayan Bank.

Al Rayan Bank, banque britannique spécialisée dans la finance conforme à l’éthique musulmane, a annoncé le 14 février dernier la clôture de son opération de sukuk (obligations adossées à des actifs réels) sur la base d’un portefeuille de crédit immobilier pour la somme de 250 millions de livres sterling, soit plus de 280 millions d’euros. 

Lire – Al Rayan Bank (UK) issues largest ever Sterling Sukuk for £250m

Suite à un échange que nous avons eu avec la banque et après une analyse approfondie de la documentation juridique de l’opération, que nous avons pris soin d’effectuer, nous souhaitons vous proposer une lecture des principaux points clés. 

Relevons au préalable trois points qui méritent, selon nous, toute notre attention :
– l’opération de levée de fonds a rencontré un succès supérieur aux attentes de ses promoteurs,
– il s’agit de la plus grosse opération européenne d’émission obligataire islamique,
– c’est un bon signal pour tous les marchés européens, particulièrement pour la France.

Sukuk sur-souscrit 1,5 fois

L’opération, une première dans son genre, émise par une banque de droit européen, a été couronnée de succès avec une sur-souscription de 1,55 fois le montant proposé de 250 millions de livres sterling. Ce sont principalement des investisseurs institutionnels, britanniques à 97 % qui se sont précipités sur cette levée de fonds inédite, essentiellement des fonds (67 %) et des banques (28 %).

Pour comprendre le succès de cette opération, il faut revenir à la création initiée en 2004 de l’Islamic Bank of Britain (IBB). A l’époque, la banque qui ne s’appelait pas encore « Al Rayan Bank », eut des débuts difficiles, dont un changement récurrent de leaders et d’actionnaires, jusqu’à son rachat en 2014 par Masraf al Rayan pour la modique somme de 24 millions de livres sterling (soit 27 millions d’euros). Elle revendiquait alors 50 000 clients.

La finance islamique en Grande-Bretagne comptait plusieurs acteurs, à l’instar de la banque HSBC avec sa marque Amanah, laquelle s’est finalement retirée du marché en 2012 après avoir octroyé près de 400 millions d’euros de crédit immobilier au profit d’environ 3 000 clients.

Quatorze ans après sa création, Al Rayan Bank ne sert aujourd’hui que le Royaume-Uni et ses 74 000 clients, forte d’un réseau de six agences et de cinq bureaux de développement à travers le pays. Historiquement basée à Birmingham, la banque n’a ouvert qu’en septembre 2016 une agence à Bradford, ville britannique qui compte la plus importante population musulmane, et un bureau en Ecosse à Glasgow. 

Le portefeuille de crédit immobilier octroyé par Al Rayan Bank s’élève à un peu plus de  300 millions de livres sterling (soit 338 millions d’euros) pour 1 672 dossiers ayant permis à des primo-accédants d’acquérir leur logement pour un financement moyen de 180 280 livres sterling (soit 203 000 euros), par le biais d’un contrat d’accession progressive à la propriété appelé « Home Purchase Plan » (HPP), légalisé en droit britannique (la banque est copropriétaire du bien avec son client, ce dernier lui verse un loyer dégressif au fur et à mesure qu’il rachète des parts de propriété du bien).

La plus grosse opération sukuk en Europe

Le gouvernement britannique donna l’exemple en 2014 avec l’émission souveraine de 200 millions de livres sterling (soit 225 millions d’euros), suivi dans la foulée par le Luxembourg avec une opération équivalente en euros. On doit en outre à la Saxe-Anhalt, région allemande, la toute première émission de sukuk en Occident opérée en 2004 pour 100 millions d’euros.

Les caractéristiques de l’opération d’Al Rayan Bank dénommée « Tolkien Funding Sukuk No.1 PL », dont le prospectus compte plus de deux cents pages, est accessible pour les professionnels sur le site IslamicBanker. Il est à noter que les deux principales agences de notation Mood’ys et Standard and Poor’s lui ont attribué un triple-A.

Pour les curieux, précisons que le taux de profit moyen pondéré qui est calculé sur la base d’un loyer indexé à un indice du marché est de 3,17 % ; ce qui fait ressortir un taux de marge moyen pondéré stabilisé de 3,99 % quand on impacte la partie variable des taux sous-jacents (Weighted Average Stabilised Margin). La maturité des crédits est en moyenne de 24 ans, le financement le plus élevé est de 678 847 livres sterling (soit 765 000 euros) et la proportion des clients indépendants s’élève à 16,1 %. Ce portefeuille, précise le document officiel, a été “originé” sur une période de 9 ans, entre novembre 2008 et novembre 2017, soit une moyenne annuelle de 33 millions de livres sterling (soit 37 millions d’euros).

Ce portefeuille de 300 millions de livres sterling (soit 338 millions d’euros) offert aux investisseurs avec un coupon de 0,80 % sur le taux Libor est une sélection d’opérations au bilan d’Al Rayan Bank, l’émission ayant été minutieusement préparée : le portefeuille ne comporte en effet que les bons profils d’emprunteur (les primo-accédants) pour l’acquisition de leur résidence principale (donc exclusion de tout autre projet, résidence secondaire ou investissement locatif).

Libor est une moyenne constatée de taux monétaire interbancaire. Pour faire simple,  il s’agit d’une référence utilisée pour calibrer un investissement en fonction de son risque. Les Etats-Unis paieront par exemple Libor + 0,10 %, alors que le Zimbabwe ou une entreprise jugée peu fiable paiera Libor + 3 %.  Al Rayan Bank a émis son sukuk à Libor + 0,8 %, ce qui est très correct. A titre de comparaison, Nationwide, 2e plus gros pourvoyeur de crédit immobilier en Grande-Bretagne (crédit classique bien entendu), émettait, le même jour, des obligations équivalentes (mais non conformes à l’éthique musulmane) à Libor + 0,37 %.

En croisant les informations, on peut estimer que la taille du bilan d’Al Rayan Bank est le double du montant retenu pour l’émission de sukuk, avec donc des opérations datant des premières années ou des plus récentes, et notamment des crédits pour les investisseurs étrangers.

Une première pour l’Europe et un défi pour la France d’Emmanuel Macron

Al Rayan Bank n’est pas une réussite façon Licorne, ces startups valorisées à plus d’un milliard de dollars, mais bien un projet industriel à long terme – avec création d’emplois durables – d’acculturation au marché britannique, à la faveur d’une équipe de gestion locale maîtrisant les codes du business européen. Entre 2013 et 2016, la banque a connu un taux de croissance annuel moyen de 49 %, une belle performance pour une banque qui reste petite à l’échelle des mastodontes du marché britannique, qui plus est sans aucun défaut de paiement.

Les débuts de la finance islamique en France voilà dix ans ont été tumultueux. Il a été en effet très difficile de faire accepter un modèle de financement alternatif, tant pour les clients, du fait du manque de pédagogie, que des régulateurs, du fait de la nouveauté et des conséquences alors inconnues sur les risques opérationnels.

Lire – Finance islamique : la France veut rattraper son retard

Pourtant dix ans plus tard, Al Rayan Bank montre que le modèle de la banque participative, inclusive, répondant aux attentes de la clientèle musulmane a toute sa place en Grande-Bretagne, et a fortiori dans le reste de l’Europe.

En France, nos décideurs économiques et politiques seraient bien inspirés de comprendre une réalité à la fois économique et sociétale, en l’occurence celle d’une partie de la communauté nationale qui souhaite, à l’instar du bio, épargner et se financer autrement, avec des mécanismes d’adossement à des sous-jacents réels, durables et moins volatils que ce que que l’on connaît aujourd’hui, sans rémunération d’intérêts et loin de toute spéculation.

A une plus petite échelle, en taille et en temps, la plateforme 570easi se développe forte de ses 77 000 membres avec l’objectif de permettre à la clientèle musulmane française de réaliser son rêve d’accès à la propriété. Près de 1 000 familles sont devenues depuis 2011 propriétaires.

Quelque  5 000 autres sont en attente d’une offre moins timide, sur un marché français qui devrait dépasser sous peu celui de la Grande-Bretagne tant la dynamique démographique et sociale est en marche.

A son modeste niveau, 570easi traite 1 000 dossiers par mois, pré-qualifie environ 500 projets solvables, mais ne peut valider que moins de 10 % de ce flux en raison des restrictions imposées par la capacité de l’offre bancaire actuelle.

A ce jour, la demande est dix fois plus importante que l’offre. Elle est simple à comprendre, tout comme les réponses que le président Emmanuel Macron, certainement soucieux de l’équité entre tous les Français, est en mesure d’impulser.  A défaut, faisons confiance à l’intelligence collective !

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