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« Qui t’a appris à te détester ? », demandait Malcolm

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L’un des aspects intéressants des réseaux sociaux est contenu en le partage de pensées, analyses dans lesquelles on trouve écho. Suivre des individus qui ont du contenu riche à partager, c’est s’assurer de nourrir notre palais mental de réflexions prometteuses.

Apprendre à s’aimer

Une internaute anglaise d’origine pakistanaise a partagé ses ressentis suite à la publication d’une photo publié sur le tentaculaire site Web BuzzFeed. On y voit un chanteur américain pour ados vêtu d’un saree de fête. Le cliché est accompagné du commentaire suivant : « Quand, enfant, tu étais trop européen et que tu essayes, une fois adulte, de paraître plus desi (membres de l’Asie du sud). Est-il trop tard ? »

La jeune femme fait suivre le partage visuel par ces quelques mots (traduction maison, approximative et un peu freestyle) :

« Cette photo BuzzFeed me rappelle comment, issue de la troisième génération de migrants, évoluant en Angleterre, j’ai essayé de me distancer de mon héritage sud asiatique.
Je me souviens d’un séjour résidentiel à Bell Heath (quartier de Birmingham) pour lequel ma mère m’avait préparé un salwar kameez à paillettes afin de le porter le dernier jour, à l’occasion de la soirée disco. J’étais tellement en colère que je lui ai demandé de me laisser porter une « robe anglaise ». Elle refusa. Et j’ai haï chaque minute passée dans ces vêtements malgré les compliments incessants pour dire ô combien j’étais belle. Je m’étais convaincue qu’ils n’étaient que l’expression d’une politesse.

La haine pour ma couleur de peau était un autre aspect enraciné. Ma peau était trop foncée. Mes sourcils trop touffus. Mon accent mirpuri était répugnant donc je parlais toujours anglais en public. Mes yeux bruns étaient ennuyants. Pourquoi ne pouvais-je pas avoir des yeux verts ? Ou gris ? Mon nez était trop gros. Mes oreilles encore plus. Et entendre que je paraissais autre chose qu’asiatique – arabe, par exemple — était tout simplement le meilleur compliment du monde.

Comme beaucoup de gens, j’ai internalisé l’oppression raciale et les messages d’infériorité perpétuellement transmis par la société de suprématie blanche qui mènent au doute de soi, au dégoût, à l’irrespect de son héritage. Après des décennies d’inconsciente haine de soi, apprendre à s’aimer, à apprécier ses défauts, sa culture est une forme de résistance. C’est un long processus certes, mais il en vaut tant la peine. »

Elle accompagne son témoignage de cette célèbre citation de Malcolm X.

« Qui t’a appris à te détester ?
Qui t’a appris à détester la nature de tes cheveux ?
Qui t’a appris à détester la couleur de ta peau au point que tu t’éclaircisses la peau pour ressembler au blanc ?
Qui t’a appris à détester la forme de ton nez et de tes lèvres ?
Qui t’a appris à te détester toi-même de la tête aux pieds ?
Qui t’a appris à détester les gens qui te ressemblent ?
Qui t’a appris à détester la race à laquelle tu appartiens à tel point que tu ne veuilles même pas être à coté de l’une d’elle ?
Avant de demander à M. Mohammed s’il enseigne la haine, tu devrais te demander, qui t’a appris à détester ce que Dieu a fait de toi. »

Mais encore ?

Les messages qui invitent à la haine de soi ne sont pas confinés dans cet apprentissage suprémaciste. Ils persistent partout où la haine s’immisce. Les figures parentales peuvent être très habiles, malgré ou à cause d’elles-même, à enseigner dès le jeune âge à leur enfant, par des mots, des regards, des silences ou des gestes, qu’il ne sera jamais assez bon, assez bien, qu’il ne vaut rien, pas mieux que son frère ou pas mieux que la voisine. Ou carrément, qu’on aurait aimé qu’il ne vienne jamais au monde.

Là où la bienveillance ne se trouve pas la porte est ouverte aux injustices les plus dévastatrices. Des adultes bien bâtis, « accomplis », trimballent ces plaies parfois jusqu’à leur dernier souffle. La pleine réalisation du conditionnement interne et son démantèlement sont des entreprises qui paraissent insurmontables. Parce qu’ils sont là depuis des décennies, puisqu’on y est habitué, on pense qu’ils ne disparaitront jamais. En réalité, les messages qu’on se raconte à leur propos doivent également subir un nettoyage radical.

Non, vous n’êtes pas ce que la société vous dit que vous êtes.
Vous n’êtes pas ce que dont vos parents vous qualifiaient, incapables d’aimer un être car incapables de s’aimer eux-mêmes.
Et enfin, vous n’êtes pas ce que votre cerveau vous susurre.
Vous êtes ce qui persiste, après que tout le reste s’évapore.
Vous êtes ce que vous découvrirez dans l’intimité la plus primaire.
Et personne ne saura qui vous êtes, tant que ce travail essentiel ne sera pas amorcé.

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6 Commentaires

  1. Merci pour cet article. ça appuie là où ça fait mal parce que ça m’a fait pensé à des situations que j’ai pu vivre ou voir.
    Une fois dans un supermarché, un vieux monsieur m’a parlé en arabe pour que je puisse l’aider à trouver pour sa fille « une crème qui blanchit la peau »…le pauvre était complètement perdu parmi tous les produits cosmétiques du rayon.

    C’est dur. Et sans se rendre compte, on passe son temps à vouloir entrer dans des moules. J’ai même eu à entendre une fois cette phrase:  » Même leurs bébés sont plus beaux que les nôtres »
    Au sein des familles maghrébines (et même ailleurs d’après l’article), l’idéal pour les filles c’est d’avoir la peau blanche des cheveux lisse et des yeux clairs.

    Tout cela me fait pensé à la notion de « colonisabilité » de Bennabi, non? (pas facile à lire)

    Pour ma part, ce qui « sauve » ou qui aide à faire face, c’est le sentiment de gratitude envers Allah. Mais on n’y vient pas tout de suite et parfois on s’en éloigne. C’est un vrai djihad.

  2. Paradoxalement à votre exemple, il n’y a qu’au Maghreb où le fait d’être blanche est signe de beauté et de richesse. Les maghrébins d’Europe préfèrent généralement un teint hâlé et un contouring net et précis. Du coup, sur l’un ou l’autre sol, on impose des canons de beauté auxquels les masses voudront se plier.

    Il y a énormément à dire sur le sujet du symbolisme de la peau blanche au travers de l’Histoire. Bennabi l’a fait en théorisant son concept de ‘colonisabilité’ et Malcolm X en parlant « d’auto dégradation » concernant le conk, cette pratique visant à lisser de force les cheveux en endurant une souffrance par la brûlure causée. L’ingrédient clé contenu dans la soude est l’hydroxyde de sodium qui peut facilement dissoudre une canette de coca. Imaginons les effets sur le cuir chevelu…

    Le concept est toujours le même : on impose que telle chose est belle et telle autre hideuse. Sur base de ça, on construit une communication, des usages et du prêt-à-penser.

  3. Ces quelques réflexions partagées amènent au sujet plus particulier du combat laïcité VS islam dont on observe les affrontements toujours plus intenses. C’est une chose de faire intégrer que la peau blanche est plus esthétique que la peau noire. C’est encore plus violent de créer le malaise, le clivage, l’injonction paradoxale en des êtres dont la foi est aussi intime et précieuse que visible. On observe, au-delà de la souffrance, une pression psychologique telle que l’énergie dont dispose les musulmans en Europe est dilapidée dans une réadaptation jamais suffisante.

    Ce ne sont que des pensées en désordre, il faudrait s’y pencher. Ce dont je suis sûre, c’est que si l’on ne transmet pas des outils de survie et de résilience, il faudra s’attendre à des ambiguïtés existentielles qui s’abreuvent de souffrances sans cesse réanimées.

  4. « l’énergie des musulmans en Europe est dilapidée dans une réadaptation jamais suffisante » . Je partage votre constat et c’est aussi le sentiment que j’ai. D’ailleurs je me suis sentie fatiguée rien qu’en lisant cette phrase…heureusement qu’il y a eu « survie » puis « résilience » pour me donner espoir 🙂

    D’ailleurs pourriez-vous développer cette idée? à quels genre d’outils vous pensez? est-ce que c’est la diffusion de connaissances aux niveau de chaque individu? ou une communication améliorée des mosquées par exemple, une redéfinition de leur rôle? en ce qui me concerne, ma capacité de survie et de résilience se renforcent à mesure que mes connaissances s’accroissent, notamment en matière religieuse.
    Mais le fait aussi de voir des sites comme oummawork me donnent aussi espoir en l’avenir parce que je me dis que les musulmans pourront de plus en plus trouver du travail et construire leur vie sans avoir à « sacrifier » une partie d’eux même.

  5. Tellement vrai, on passe son temps à vouloir changer aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur pour correspondre aux critères physiques et moraux d’une société défaillante alors qu’il suffirait de s’accepter tel que l’on est. Mais c’est tellement dur quand toute votre vie on vous rabâche que vous n’êtes pas assez blanche, pas assez mince, que vos cheveux ne sont pas assez lisses, que vos vêtements ne sont pas à la mode, etc.. Et cela vient aussi bien de l’entourage proche que de la société et des médias il devient alors très compliqué de s’accepter tel que l’on est et de voir de la beauté dans chaque être humain malgré le fait qu’il ne corresponde pas aux canons de beauté en vigueur. Des lors c’est un combat contre soi-
    même qui s’engage et comme vous l’avez dit votre propre cerveau agit contre vous et vous rappelle que vous ne rentrez pas dans le moule. A partir du moment où j’ai pris conscience de ce conditionnement j’ai essayé de m’en défaire mais c’est plus compliqué qu’il n’y paraît. C’est encore plus sur pour les adolescentes qui subissent de plein fouet ce conditionnement et de plus en plus jeunes. Qu’Allah nous donne la dire de prendre conscience de cela et de s’en dét

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