À l’approche de l’Aïd al-Adha, des dizaines de milliers de familles en France se prépare au sacrifice d’une bête, le plus souvent un mouton, mais aussi parfois une chèvre ou encore un bœuf. Faute de pouvoir s’en acquitter eux-mêmes, beaucoup délèguent cette obligation rituelle à un professionnel — boucher local ou ONG opérant à l’étranger. Dans ce second cas, la viande est distribuée comme sadaqa (aumône).
Contravention de 5e classe, 1 500 euros d’amende
Si procéder soi-même au sacrifice a été un temps toléré par les autorités, la législation française interdit formellement aux particuliers « de procéder à un abattage rituel en dehors d’un abattoir » (décret n°80-791 du 1er octobre 1980).
Depuis, lois et décrets n’ont eu de cesse d’évoluer. Mais l’interdiction demeure : tout abattage rituel doit être réalisé exclusivement dans des abattoirs agréés, par des sacrificateurs habilités. Les particuliers ne peuvent pas effectuer eux-mêmes le sacrifice, même dans un cadre privé, chez soi ou « chez le paysan ».
L’abattage des animaux est en effet strictement encadré par le Code rural. Selon l’article R214-68, « il est interdit à tout responsable d’établissements d’abattage d’effectuer ou de faire effectuer l’abattage ou la mise à mort d’un animal si les dispositions convenables n’ont pas été prises afin de confier les opérations de déchargement, d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage ou de mise à mort des animaux à un personnel disposant d’une formation en matière de protection animale ou encadré par une personne ayant cette compétence».
L’abattage rituel, soumis aux mêmes exigences que l’abattage conventionnel, ne fait pas exception. L’article R214-73 dispose « qu’il est interdit à toute personne de procéder ou de faire procéder à un abattage rituel en dehors d’un abattoir. La mise à disposition de locaux, terrains, installations, matériel ou équipement en vue de procéder à un abattage rituel en dehors d’un abattoir est interdite ». La seule dérogation admise concerne exclusivement l’étourdissement préalable.
Tout particulier enfreignant ces dispositions légales encourt une contravention de 5e classe, soit une amende de 1 500 euros — 3 000 euros en cas de récidive. Les sanctions sont autrement plus lourdes pour un professionnel. Les infractions, commises dans le cadre d’une activité commerciale, peuvent engager sa responsabilité administrative, pénale et sanitaire, et lui valoir une peine de prison et une très lourde amende : jusqu’à 150 000 euros, en cas d’absence d’agrément sanitaire ou d’abattage sur un lieu non autorisé.
Depuis une quarantaine d’années, la réglementation de plus en plus stricte s’est accompagnée d’un renforcement des contrôles d’une part et de la mise en place d’abattoirs temporaires agréés chaque année à l’occasion de l’Aïd al-Adha d’autre part.
Contraints, nombre de musulmans ont fini par opter pour le sacrifice par procuration, banalisé par toute une cohorte d’ONG qui se disputent aujourd’hui un vaste marché.
Des prix et des critères variables selon les ONG
Marginale dans les années 2000 et licite, la délégation du sacrifice de l’Aïd à des ONG via Internet est aujourd’hui devenue une pratique largement répandue. La question n’est plus tant de savoir comment ou à qui offrir son mouton, mais plutôt par quelle association de confiance passer, à quel prix, dans quelles conditions et pour quels services. Autant dire que faire son choix n’est pas simple.

Considérons un critère, et non des moindres : le prix. Pour un sacrifice offert à des familles de Palestine, par exemple, il faudra débourser cette année, selon les ONG, 99, 129, 198, 240 ou encore 324 euros. 93, 139 ou 194 euros au Sénégal. Au Yémen, 132 ou 324 euros. On peut même débourser bien moins en optant, pour 54 euros, pour une chèvre au Malawi, au Tchad ou au Mali.
Préférer la formule la moins coûteuse s’imposera naturellement aux budgets les plus serrés. Pour autant, si s’arrêter au seul critère du prix — ou du pays — est un peu court, c’est là une décision prise le plus souvent à son corps défendant : l’information est, même chez les ONG les plus sérieuses et les plus fiables, réduite à la portion congrue.
Les donateurs devraient pouvoir choisir en connaissance de cause, sur la base de critères clairs et concrets, comme entre autres :
— la conformité rituelle : abattage après la prière de l’Aïd al-Adha, évocation du nom d’Allah au moment de l’abattage (tasmiya), animal qui remplit les critères requis (âge, espèce, santé), respect du bien-être animal, etc.
– le lieu du sacrifice : le sacrifice est-il réalisé dans le pays choisi ou ailleurs, puis la viande y est acheminée ? quelles sont les conditions sanitaires, logistiques, etc. ?
— la distribution : à qui est distribuée la viande ? selon quels délais ? sous quelle forme ? etc.
— le prix : pourquoi un prix unique pour l’ensemble des pays proposés ? qu’est-ce qui justifie que l’on ne paie que 54 euros ou, à l’opposé, 324 euros ? combien pèse les animaux retenus ? etc.
Si le manque de transparence est manifeste et généralisé, il ne s’agit pas pour autant de soupçonner les ONG de malhonnêteté, mais d’exiger un plus grand professionnalisme. Le prix, le pays et la réception d’une photo ou d’une vidéo, après l’Aïd al-Adha, ne suffisent plus.
La délégation du sacrifice n’a plus rien d’anecdotique. Elle concerne chaque année des dizaines (des centaines ?) de milliers de croyants, qui doivent pouvoir pratiquer leur culte dans les conditions les meilleures. A défaut, les pratiques encore floues entameront la confiance des donateurs, au détriment des bénéficiaires. A contrario, faire preuve de pédagogie plaidera en faveur des ONG les plus transparentes, en plus de simplifier le sacrifice par procuration.
L’Aïd al-Adha 2025 – 1446 devrait avoir lieu aux alentours du 5 juin prochain.
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